Pastiche de Proust : À la recherche du temps perdu
Du plus loin que je me souvienne, dans ma famille les moments les plus importants étaient les diners.
À 20h nous nous retrouvions dans la salle à manger, ouverte sur cette grande cuisine jaune soleil et crème, autour de cette table ronde, surement en châtaignier voire en noyer. À table nous étions assis à nos place respectives, comme si nous avions nos propres rôles prédéfinis dans cette famille et que personne ne devait déroger à la règle.
Sur ma gauche se trouvait ma sœur, sa chevelure d’or presque blanche lui donnait des airs angéliques, son sourire rajoutait une lumière particulière à son visage, dorée, comme si un rayon de soleil se posait délicatement sur sa peau. À côté d’elle mon frère, à chaque repas, il avait cette habitude de râler après notre mère par rapport au menu de la soirée, les légumes bios, de forme plutôt inhabituelle et les quelques moisissures qu’il avait pu apercevoir lors de la préparation du repas, n’étaient pas à son goût.
Ma mère désespérée par ses réclamations ne disait rien et se contentait de le regarder, elle finissait par lever les yeux au ciel, dans tous les cas il finirait son assiette à cause de la faim. De temps en temps Théo nous offrait des imitations de ses professeurs. Lorsqu’il les incarnait l’atmosphère changeait, toutes les tensions qui flottaient dans l’air s’apaisaient, il avait le don ce don si particulier de nous rendre heureux à en pleurer, c’était comme si nous nous échappions dans une sorte de bulle, tous les cinq, bien loin de la réalité. En face de moi, et à la gauche de Théo, se trouvait papa, il est sans doute le membre de notre famille le plus complexe, le plus mystérieux, on ne savait jamais vraiment à quoi il pensait, il affichait toujours un air doux et réconfortant sur son visage ; rien, même pas les interminables plaintes de son fils, ne pouvaient ébranler cette douceur.
Et enfin, à ma droite, maman.
Elle aussi incarnait la douceur mais celle-ci, chez ma mère, était mêlée à une fermeté. Toujours droite dans ses convictions elle n’y dérogeait jamais lorsque notre santé était en jeu, toujours tiraillée entre notre bonheur immédiat et notre futur. Une main de fer dans un gant de velours. Elle maniait parfaitement l’art du passif agressif, et nous commandait tout en arborant des yeux d’une douceur sans pareil. Ses yeux, je m’en rappèlerai toujours. De deux couleurs différentes, ils était une fenêtre vers son soi intérieur, un accès à ses humeurs, ses rires, ses peines. Elle communiquait tout à travers ses yeux là.
Mais ils étaient aussi parfois le reflet de ses inquiétudes, sur la santé comme je disais, c’était pour elle une préoccupation essentielle qu’elle instaurait dans cette famille. Que ce fut la nourriture que nous mangions, l’environnement dans lequel nous vivions ou même encore les médicaments que nous ingurgitions, tout devait être dépourvu d’effet secondaire ou de produits, considéré nocifs par maman. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle nous a soigné dès notre plus jeune âge à l’homéopathie et que ma mère a retardé par toutes les excuses possibles, mon vaccin pour rentrer à l’école, tellement qu’elle a failli me couter ma place en cours préparatoire. C’était sa façon de nous protéger, nous, son bonheur, sa vie, ses enfants.